jeudi 29 janvier 2015

L’après 11 janvier (suite)

Le caractère historique de l’évènement que nous venons de vivre n’échappe à personne : « il est des épreuves qui révèlent une nation à elle-même «  (Edwy Plenel), « évènement monstre, expression du merveilleux démocratique « (Pierre Nora). L’irruption du peuple pour défendre la liberté, pour refuser tout amalgame et promouvoir la fraternité ouvre des possibles pour ceux qui sont Charlie mais aussi pour ceux qui ne le sont pas. Mais rien n’est automatique et tout dépendra des réponses apportées. Nous sommes à un tournant et nous savons bien qu’en cas d’échec ce sont les forces populistes, obscurantistes et xénophobes qui tireront les marrons du jeu.
Le débat est donc essentiel. Faut-il par exemple écouter Malek Boutih et mettre les quartiers populaires sous tutelle en écartant les élus locaux ? Faut-il répondre aux drames que nous venons de vivre par la déchéance de nationalité voire l’instauration d’un délit « d’indignité nationale » ? Ne faut-il pas au contraire affronter les vrais problèmes secrétés par la société française ?
Quand M. Valls fait semblant de découvrir les situations « d’apartheid ». (Le concept n’est pas adapté à une réalité autrement plus complexe) j’ai irrésistiblement envie de lui répondre qu’il est bien temps de faire un constat qui n’est que le produit des politiques menées depuis une dizaine d’années, par Sarkozy, Hollande et…. Valls.
Faut-il rappeler l’accélération brutale des politiques austéritaires, la réduction drastique des services publics, les mesures exclusivement sécuritaires ? Faut-il rappeler la continuité des discours ethnicistes, racistes et discriminatoires à l’égard des Roms, des immigrés ou des français d’origine immigrée ?
Faut-il rappeler l’absence de réaction des pouvoirs publics à la médiatisation permanente de la haine distillée par Marine le Pen, Zemmour, Finkelkraut, Meynard et autres Houellebecq ? Ce que Valls appelle l’apartheid a été fabriqué socialement et culturellement et le couple Hollande-Valls y a largement pris sa part. En a-t-il tiré les enseignements ? Manifestement non puisque F. Hollande déclare vouloir s’appuyer sur l’esprit du 11 janvier pour poursuivre ce qu’il nomme son « action réformatrice », la loi Macron par exemple. Les quelques inflexions à l’austérité budgétaire concernent exclusivement les effectifs militaires et policiers. Rien pour l’éducation sinon des vœux pieux sur la mixité sociale et un appel pour le moins ambiguë à la morale et à la discipline ; rien sur la culture pourtant essentielle ; rien sur le social ; rien enfin pour permettre une citoyenneté plus active dans les quartiers populaires.
Pendant ce temps les affaires continuent et Hollande va à Davos parler avec les 1% de la population mondiale qui possède l’équivalent de ce que se partage les 99% restant.
Mais l’espoir peut renaître. Nos regards ce weekend end ne seront pas tournés vers Davos mais vers Athènes où Syriza peut ouvrir la voie. Le meeting parisien de soutien au rassemblement mené par Alexis Tsipras a été l’occasion de réunir J. L. Mélenchon, P. Laurent et C. Autain mais aussi C. Duflot, des représentants d’Attac et d’autres mouvements citoyens, des députés socialistes. Cela semble inquiéter Cambadélis. Tant mieux c’est peut-être l’indice que « demain sera un autre jour ».

Le racisme contre le vivre ensemble.

Le peuple rassemblé le 11 janvier a affirmé sa condamnation de la barbarie sur la base du triptyque républicain mais aussi que la fraternité soit mieux conjuguée avec la liberté et l’égalité.
L’urgence de renouer le fil de la solidarité dans une France profondément divisée est une des urgences que je veux explorer ici.
Le 11 janvier trace une ligne de conduite à l’inverse du « patriot act » que certains à droite et à l’extrême droite voudraient nous imposer. Nous ne devons ni mettre en cause nos libertés, ni désigner des boucs émissaires.
Il nous faut au contraire affronter ensemble les drames auxquels notre peuple est confronté depuis trop longtemps : chômage et désocialisation ; inégalités culturelles et crise d’identité ; violence et progression du racisme. Or celui-ci est devenu le poison qui mine de l’intérieur notre société redoublant les fractures sociales et démocratiques marginalisant les classes populaires.
L’antisémitisme et l’islamophobie fonctionnent en miroir et il faut avoir la volonté de sortir de cet engrenage infernal : les juifs de France ne sont pas plus responsables des exactions du gouvernement israélien que les musulmans de France ne sont responsables de tueries organisées ici et ailleurs par Al-Qaïda ou Daesh. Comment peut-on exiger des uns et des autres qu’ils fassent la preuve de leur innocence face à ces crimes abominables. Est-ce d’ailleurs là que se situent les vrais problèmes ?
Renouer les liens de fraternité passe par la nécessité d’affronter deux questions majeures :
En premier lieu s’atteler à renouer le lien avec cette part de la jeunesse française issue des immigrations maghrébines et africaines. Le constat de sa situation est effrayant à dresser : abandonné par la République cette jeunesse subit en quelque sorte une double peine : la ségrégation sociale et spatiale commune à tous ceux qui sont frappés par les formes de l’exclusion sociale, et celle spécifique à leurs origines. Ce que les sociologues qualifient de politiques d’ethnicisassion ou de racialisation des rapports sociaux. En clair toutes les formes de discriminations et de stigmatisation que ces jeunes subissent face à l’emploi, au logement, à l’accès à la culture, à l’éducation, aux loisirs. Pour beaucoup d’entre eux l’avenir se réduit au mieux au foot ou à la star académie, au pire à la délinquance et au djihadisme, souvent aux deux.
Tout commande aujourd’hui de faire de ces jeunes les acteurs d’un vaste plan de conquête sociale et culturelle de leurs droits. C’est la condition d’une reconnaissance de leur dignité et de leur identité qu’ils estiment à juste titre bafouées au point pour certains de ne plus rien attendre de la France et de la République.
En second lieu, il faut en finir avec cet inconscient collectif qui s’origine dans l’esprit colonial qui façonne, parfois malgré nous, le regard que nous portons sur les populations venues de notre ancien « empire », singulièrement des mondes maghrébins et africains et de l’univers islamique.
Nous sommes tous concernés et comptables de ce regard. Il nous faut revisiter et dépasser cet héritage détestable et opérer, n’ayons pas peur des mots, une véritable résolution culturelle.
Nous pourrons alors concevoir que les migrations internationales, la libre circulation des femmes et des hommes, ne sont pas un problème mais un des outils de la construction d’une mondialité de liberté, de paix et de coopération. Nous pourrons alors concevoir de fonder le droit de vote et l’exercice de la citoyenneté sur le droit du sol et de la résidence.
Le 11 janvier loin d’appeler à la régression sécuritaire de nos libertés et à la haine de « l’étranger » exige tout au contraire la construction d’une société radicalement différente. Une société d’émancipation humaine fondée non sur la concurrence et la violence, mais sur la solidarité et le partage, non sur l’autoritarisme, mais sur une conception citoyenne de la politique, non sur le racisme et le rejet de l’autre mais sur une laïcité ouverte et fraternelle, garantissant l’égalité et respectueuse des libertés d’expression et de création, d’opinion et de conscience. Il s’agit simplement de construire un monde fondé non sur la guerre des civilisations mais sur les droits des peuples et des individus
 

mardi 13 janvier 2015

N’ayons pas peur !

Avec les assassinats perpétrés au cœur de la rédaction de Charlie Hebdo, 2015 commence sous le signe de l’horreur et de la barbarie.
Comment réagir devant un acte dont la symbolique est terrifiante : des individus à visage couvert, parlant un français impeccable, prétendant agir au nom d’une religion, l’Islam, commettent le plus lâche des crimes, contre des journalistes, figures majeures de la liberté et de la démocratie, en France, pays des droits de l’homme.
Est-ce aussi un hasard s’ils s’en sont pris à un journal clairement engagé à gauche dont l’esprit libertaire et l’humour profondément humaniste fait le bonheur de beaucoup. Comme tant d’ami(e)s que j’ai croisé en ces jours terribles, c’est une immense douleur que je ressens. Un flot de souvenirs remontent : de la Paulette de Wolinski au grand Duduche de Cabu en passant par l’acuité politique dévastatrice des caricatures de Charb, ou encore les révoltes de Tignous…
Nous sommes tous sous le choc et au bord des larmes. Mais prenons garde de nous laisser abattre : Charlie vivra et nous ferons ce qu’il faut pour qu’il continue de paraître.
A l’inverse des lendemains du 11 septembre où, à la haine et la violence, ont répondu la même haine et la même violence opposons à la barbarie l’esprit de résistance en affirmant clairement que le racisme et le rejet de l’autre ne font pas partie de notre manière d’être, de notre conception de la République et de la laïcité, de notre vision du vivre ensemble.
Plus que jamais, il faut dénoncer le climat délétère entretenu par Zemmour, Houellebecq, Finkielkraut et par le FN qui n’a pas sa place dans un rassemblement qui veut faire peuple commun, libre et fraternel. Non l’Islam n’est pas cette caricature instrumentalisée par quelques fanatiques. Non l’Islam n’est pas cet épouvantail que d’aucuns décrivent à longueur de livres outrageusement médiatisés par des irresponsables.
Oui les musulmans sont nos frères et nous sommes tous capables de vivre en bonne intelligence quelques soient nos origines et nos croyances.
Inlassablement il nous faut combattre les fauteurs de division, les fabricants de boucs émissaires qui veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes, la crise sociale pour une crise d’identité, la lutte de classes pour une guerre de religion.
N’ayons pas peur. La peur est toujours mauvaise conseillère et de tous temps elle a été l’instrument des puissants pour diviser les peuples et les maintenir dans l’oppression. C’est vrai en France et en Europe où l’on voudrait bien déplacer le combat contre l’austérité, vers la recherche de boucs émissaires.
C’est vrai dans le monde où le terrorisme intégriste se réclamant scandaleusement de l’Islam n’est qu’un vulgaire mais effrayant avatar de la tentation totalitaire d’extrême droite. Celle de la loi du plus fort, de l’argent qui écrase tout, de la soumission des femmes au vieil ordre patriarcal, de la haine de l’autre et des valeurs obscurantistes.
Nous sommes et nous devons rester, ici et dans le monde, les combattants de la liberté et de la démocratie, de l’égalité et de la solidarité, de la fraternité et de l’amour de l’humanité, de la mise en commun et du partage.
Les rassemblements depuis mercredi, les millions de « je suis Charlie », la mobilisation partout des forces républicaines et citoyennes témoignent de l’immensité de l’émotion mais aussi de la volonté de résister. Faisons en sorte qu’elle s’incarne dans une ambition de construire une autre civilisation humaine.
Soyons convaincu avec Hölderlin que « là où croit le péril croit aussi ce qui sauve ».
 

mardi 6 janvier 2015

L’immigration n’est pas un problème mais une chance.

Un spectre hante la France et l’Europe : des hordes d’immigrés nous envahiraient pour profiter de notre protection sociale, s’attaquer à notre identité, voler nos emplois et nos femmes !
En Allemagne voici revenu le temps de la haine xénophobe, en Angleterre celui de l’isolement insulaire. En France, des le Pen à Sarkozy, de Zemmour à Finkelkraut, de Soral à Dieudonné, c’est le fantasme du « grand remplacement ». Au peuple français de « souche » ( ?) blanc et chrétien se substitueraient un peuple black-beur et musulman ! Espérons que le discours récent d’Hollande, au demeurant fort timide, va calmer les Valls, Cazeneuve et autre Joffrin qui n’ont pas hésité à participer à ce concert crépusculaire, légitimant la sinistre musique lepéniste.
Car le fantasme est à l’exact opposé de la réalité : les migrations concernent aujourd’hui 3,1 % de la population mondiale alors qu’en 1900 elle faisait bouger 5 % de cette même population. Seul 35 % des migrants vont du Sud vers le Nord, 40 % du Sud vers le Sud et le reste du Nord vers le Sud. En France, de 1962 à aujourd’hui, le nombre d’immigrés a augmenté de 2 % et il entre en France deux fois moins de migrants qu’en Allemagne, clandestins compris. Les flux dans notre pays sont permanents depuis 10 ans. Sur environ 265000 migrants qui viennent chez nous chaque année il y en a un peu plus de 90000 au titre du regroupement familial, environ 18000 au titre des dérogations accordées aux entreprises et aux exploitations agricoles, 75000 sont des étudiants et des chercheurs et le reste relève de l’humanitaire et du droit d’asile.
C’est de l’avis de tous ridiculement faible au regard des besoins. 45 % de ces entrants sont des européens, 30 % viennent des pays du Maghreb et 10 % d’Afrique subsaharienne. Vous avez dit invasion et « grand remplacement » ?
Allons plus loin : des études concordantes en Europe montrent que les étrangers, loin de coûter, rapportent à la collectivité. En France durant la décennie 2000 les étrangers ont payé 60 milliards de cotisations sociales et ont perçu en prestations 48 milliards. La collectivité a donc bénéficié de 12 milliards !
Et je ne vous parle pas des richesses qu’ils ont contribué à créer, de la démographie dont ils ont réduit le déficit chronique, enfin de leur apport culturel, artistique et sportif à notre pays.
Poussons encore le raisonnement : alors que le capital circule librement pourquoi cela serait-il interdit aux êtres humains ? Toutes les études s’accordent à dire que si on ouvrait les frontières dans le cadre d’une coopération fondée sur l’harmonisation par le haut des droits humains, cela bénéficierait à tous. Les pays riches seraient obligés de repenser le monde sur un mode égalitaire, cela ferait baisser les tensions et les guerres, inciterait à faire reculer les égoïsmes nationaux, favoriserait la reconnaissance de l’autre, la relation et le dialogue entre les cultures. Et contrairement aux idées reçues tous les spécialistes pensent que cela ferait baisser le nombre de migrants. La mondialisation se déclinerait à partir d’une trilogie que nous connaissons bien : la liberté de circuler serait fondée sur l’égalité des droits et la fraternité entre les êtres humains.
A propos de fraternité, … bonnes fêtes et à l’an que ven !

Le grand écart

Jamais pouvoir ne fut aussi schizophrène.
D’un côté nous avons un parti socialiste qui adopte une « charte pour le progrès humain », proclame sa fidélité au « socialisme » et face au capitalisme veut promouvoir un « nouvel internationalisme » capable « d’humaniser la mondialisation » « grâce au juste échange ». Devant « la rente improductive et la finance folle » le parti socialiste proclame sa volonté de former « l’alliance des producteurs ». Il veut « un Etat protecteur » qui réalise « sa promesse d’égalité ». Il veut une « alter Europe » pour «harmoniser les régimes sociaux et la fiscalité », et « une nouvelle croissance productive et coopérative ». La charte socialiste réaffirme son ambition de créer du pouvoir d’achat pour un « bien vivre », sa priorité à l’éducation et à la culture, l’urgente nécessité d’une « démocratie revivifiée » pour lutter contre « le désenchantement qu’exploitent les démagogues ».
De l’autre côté, nous avons un gouvernement, un Président et un Premier ministre socialistes qui pratiquent une politique à l’exacte opposée de ce que dit la charte adoptée par leur Parti qui porte toujours « ce beau nom de socialisme ».
Ce gouvernement « pro-business », qui « aime l’entreprise », entendez le Medef dont il satisfait tous les désirs : du CICE au pacte de responsabilité jusqu’à la loi Macron. Jamais la finance n’a été aussi bien traitée par un pouvoir qui prétendait hier que c’était son adversaire. La loi Macron veut sacrifier le repos dominical au profit des grandes surfaces commerciales et des zones touristiques internationales, libéraliser c’est-à-dire privatiser, les transports en autocar contre l’écologie et le service public de la SNCF incapable désormais de desservir nos territoires. Cette loi accélère la vente à la découpe et la spéculation immobilière contre le logement social.
La loi Macron en 106 articles est une bombe à fragmentation destinée à faire exploser le Code de travail, et à produire des régressions sociales contraires à tous les engagements pris. Et pour quel résultat ? Le Conseil d’Etat a déploré « le caractère lacunaire et les graves insuffisances de l’étude d’impact sur nombres de dispositions pour la croissance et l’activité » et l’INSEE nous rappelle que la production industrielle, le cœur d’une nouvelle croissance, recule encore. Entre juillet et septembre, la France a détruit 55200 emplois.
Par contre, selon une étude de la Banque de France les 80 principaux groupes de notre pays voient leur profit progresser de 29 à 33 milliards d’euros soit une hausse de 14 %, « avec des effets notables sur les dividendes ». Contrairement à ce que prétend M. Gattaz les impôts des sociétés ont été allégés de 0,7 milliards d’euros entre les 6 premiers mois de 2013 et de 2014 grâce au CICE accordé sans contrepartie par F. Hollande.
On le voit c’est le grand écart entre ce que dit la main gauche du pouvoir, le PS et ce que fait sa main droite, le gouvernement.
Vous avez dit bizarre ?
Prenons garde, si une immense fracture démocratique caractérise notre pays c’est l’électorat de gauche qui est le plus désorienté par cette schizophrénie politique. C’est la chronique annoncée d’une véritable catastrophe. Tous ceux qui à gauche en ont conscience doivent se mobiliser pour la conjurer.