mardi 24 novembre 2015

Penser l’avenir

Nous sommes bouleversés et sous le choc des évènements tragiques de Paris. Prenons le temps de l’émotion, du partage et de la solidarité. Prenons aussi le temps de la réflexion. Il nous faut en effet mettre les bons mots sur ce qui arrive parce que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » (Camus).
A-t-on affaire à de simples psychopathes assoiffés de sang ou des fous de Dieu menant en martyr une guerre sainte ? Il y a sans doute individuellement quelque chose de cela. Mais au-delà nous avons affaire à un mouvement politique, très structuré, abondamment financé et surtout animé d’une idéologie d’extrême-droite, d’asservissement et de deshumanisation. Elle s’apparente, sous des formes spécifiques au monde oriental, à l’entreprise totalitaire nazi : même affirmation d’une pureté identitaire, même rejet violent des infidèles et des impurs, même haine de l’art, du savoir et de tout ce qui fait culture et rassemble les êtres humains, la musique, la danse, le sport, l’amour…
L’objectif poursuivi par les attentats du 13 novembre est clair : il s’agit de diviser le peuple français et de provoquer une véritable chasse aux musulmans avec un calcul simple : inciter les français de confession ou d’origine musulmane à rallier leur croisade. Il est important de déjouer ensemble ce sinistre calcul car ce mouvement ne sort pas du néant.
Comme le rappelle Roland Gori, il est le produit monstrueux d’un capitalisme assoiffé de profit qui a fait du monde entier son terrain de chasse, fabriquant inégalité sociale et culturelle, déstabilisant les équilibres humains, naturels et politiques.
C’est cette vaste entreprise d’humiliation des peuples, foulant aux pieds la dignité humaine et menant des guerres partout, qui provoque ces réactions violentes.
Comment s’étonner que le monde arabo-musulman, aire où les colonisations, les soumissions, les guerres ont été parmi les plus tragiques, enfante une telle monstruosité ? Mais en quoi ajouter la guerre à la guerre résoudra-t-il un problème qui demande au contraire, paix, reconnaissance des droits des peuples, co-développement juste et équitable ?
Contredisant la thèse du « choc des civilisations », le djihadisme n’est que la caricature sinistre d’un néofascisme présent partout, singulièrement en Europe et en France. Ici comme là-bas il constitue la roue de secours du libéralisme, destinée à reproduire d’une manière autoritaire et violente les sociétés de dominations.
Comment et pourquoi le djihadisme trouve-t-il un écho dans notre  pays ? Raphaël Liogier, nous rappelle que toutes les études montrent que les jeunes djihadistes français « ne viennent pas du communautarisme mais de la désocialisation ». En clair ils ne se recrutent pas dans les mosquées mais dans les réseaux de la délinquance. Le concept de « radicalisation » est donc inopérant et désigner la communauté musulmane comme « ennemi de l’intérieur » est injuste et inefficace.
La jeunesse de France, singulièrement la jeunesse issue des cités populaires est la première victime de l’austérité, du chômage et de la précarité. L’éducation, la culture et le sport ont de plus en plus de mal à colmater les fractures sociales et identitaires, désormais béantes.
A quels repères peuvent se raccrocher ces jeunes en butte à la crise sociale et politique et au délitement des services publics ? D’autant plus qu’ils subissent une double peine : la précarisation pour tous et les discriminations qui les excluent.
L’état d’urgence dont nous avons besoin et auquel aspire notre peuple, admirable dans ses réactions, n’est pas celui qui restreint nos droits et nos libertés mais au contraire celui qui décrète la République fraternelle, égalitaire et libertaire. Le moment est venu de penser l’avenir et de construire ensemble un nouveau récit émancipateur, humaniste et démocratique.
« J’espère en toi, marcheur qui vient dans les ténèbres, avenir ! » Victor Hugo l’année terrible (1872).

lundi 16 novembre 2015

A propos d’André Glucksmann

La mort d’André Glucksmann a provoqué des réactions pour le moins contrastées. Dithyrambes à droite, hommage convenu et disproportionné dans les grands médias, gêne à gauche à dire clairement ce que l’on pense.
Certes, il est toujours difficile face à la mort, de ne pas s’incliner et je ne serai pas de ceux qui se livrent à je ne sais quel règlement de compte. André Glucksmann « ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité ». Il a été un acteur important d’une aventure intellectuelle profondément réactionnaire dans les années 70/80, celle des « nouveaux philosophes ». Les médias, qu’ils savaient parfaitement utiliser,  leur ont servi de caisse de résonnance. S’appuyant sur la dénonciation légitime du « soviétisme », sa crise puis son effondrement, ils dénoncèrent la figure d’un « totalitarisme de gauche », jetant le bébé communiste avec l’eau stalinienne du bain. *
Militant maoïste en mai 68, Glucksmann considère, dès les années 70, que toute pensée révolutionnaire devient suspecte de filiation totalitaire. S’inscrivant délibérément dans l’air du temps, le combat de l’Occident contre « l’Empire du mal », ces « nouveaux philosophes », dont la pensée était d’une indigence théorique rare, ont réussi à marginaliser la pensée marxiste et au-delà, toute pensée critique du système. Ils ont ouvert ainsi la voie au ralliement d’une part importante de la gauche française aux thèses libérales, voire néoconservatrice puisqu’on verra Glucksmann traiter la France de « Soviétique » parce qu’elle refusa de participer à la croisade des Bush en Irak. « Il était stalinien et devint atlantiste avec la même fougue et la même rhétorique exaltée » écrit  Denis Sieffert dans « Politis ». Une exaltation qui l’amena en 2007 à soutenir N. Sarkozy à la présidentielle !
Comment cette idéologie a-t-elle pu entraver à ce point les tentatives de construire une autre figure de l’anticapitalisme et de l’émancipation humaine que celle qui s’est effondrée en 89, victime de l’étatisme autoritaire et de l’absence de liberté ? Comment a-t-elle pu déboucher sur l’idée qu’il n’y avait d’issue que dans la soumission à la théorie du « choc des civilisations » opposant le bien (toujours occidental, blanc et chrétien) au nouveau mal (oriental, basané et musulman), faisant ainsi le lit du néo-populisme ?
En fait, de Glucksmann à Finkielkraut en passant par BHL, les « nouveaux philosophes » appartiennent à l’histoire totalitaire qu’ils prétendent combattre. Ils adhèrent en effet à un ordre inégalitaire et guerrier, dominé par de nouvelles formes de totalitarisme : celle de la techno-finance contre les peuples et la démocratie, celle du productivisme et du consumérisme contre la planète, celle des replis identitaires contre l’émancipation des femmes et des hommes de ce temps.
Tétanisés, sans doute, par l’effondrement de ce à quoi nous avons cru, nous avons tardé à affronter l’adversité avec lucidité critique sur le passé et surtout  intelligence créatrice d’un avenir où il faut impérativement tout réinventer.
Tirons donc les enseignements du 20e siècle et engageons-nous dans le 21e avec l’émancipation humaine, la préservation de la planète et la promotion de la citoyenneté comme boussoles pour construire le monde de demain.
 
 
*Voir à ce sujet l’ouvrage remarquable de l’historien américain M. Christofferson : « Les intellectuels français contre la gauche» éd. Agone 2014.

Au Sud, l’espoir !

Une fois de plus, à un mois d’une élection essentielle pour l’avenir des régions, le débat public a du mal à se concentrer sur les enjeux propres au scrutin.
Les Régions dont les périmètres ont été découpées « à la Schlag » pour reprendre l’expression que le Premier ministre a utilisée pour fustiger… sa propre méthode de gouvernement, sont devenus des collectivités majeures. En matière d’aménagement du territoire, de transition écologique, de développement économique, de transports et de logement, de formation et de culture… Elles forment désormais un échelon incontournable de l’action publique en faveur des territoires et des populations qui y vivent.
Nationaliser et politiser le débat sur les régionales est en soi une bonne chose, à condition de le faire sur les vrais enjeux. Ce n’est pas ce que font les forces politiques qui occupent outrageusement les médias.
Ainsi le FN du nord au sud, agite la peur d’une prétendue « submersion migratoire » ; ainsi Sarkozy retrouve ses accents sécuritaires du temps où il voulait « nous débarrasser de la racaille » ; ainsi Valls joue une partition à 2 violons : il instrumentalise le FN en le mettant au centre du débat et pratique une démagogie sociale pour masquer sa politique austéritaire.
Et si on commençait par cette dernière ? Le principal obstacle à la capacité des régions à remplir leurs missions c’est l’austérité imposée par le gouvernement. Précarisation des populations, asphyxie des dotations aux collectivités, baisse de la dépense publique qui dégrade nos biens communs.
Prenons, à la veille de la Cop21, l’exemple de la lutte contre le changement climatique dans laquelle les régions ont un rôle majeur à jouer. La schizophrénie règne en maître : d’un côté Hollande se fait, à Paris ou Pékin le chevalier blanc de l’écologie ; de l’autre Macron préfère les autocars polluants au ferroviaire propre et Valls relance Notre Dame des Landes.
Hollande entendra-t-il son ambassadeur Nicolas Hulot : « Osons dire que la violence capitaliste colonise tous les cercles du pouvoir… Osons reprendre la main sur une industrie de la finance qui ignore l’intérêt général ».
Là se situe pourtant le cœur du débat politique :
Comment faire des Régions des boucliers sociaux contre l’austérité ? Comment briser le carcan de la finance pour relancer nos économies territorialisées autour des PME et de l’économie sociale ? Comment mener le combat écologique en mobilisant nos services publics ? Comment mettre la formation et la culture au cœur des politiques d’aménagement solidaire et durable de nos territoires ?
La Marseillaise diffuse dans 2 régions du sud où des listes rassemblant le Front de gauche et les Ecologistes apportent des réponses claires à ces questions. En mettant l’humain, la nature et l’intérêt général au centre d’une démarche politique qui se veut sociale et écologique, coopérative et citoyenne.
C’est cela qu’il faut imposer au cœur de la campagne et non le FN comme le font le PS et la droite. Le parti du clan le Pen n’est porteur d’aucune perspective sociale et écologique. Il distille derrière un paravent étatiste et souverainiste, l’exclusion et la division qui ne servent que l’intérêt des puissants.
La voie est étroite mais nous vivons dans nos régions du sud une expérience exaltante. Parce qu’elle croise une réponse sociale et écologique et qu’elle refuse l’austérité et la haine, elle est la gauche, elle est l’espoir.
 

Ma dernière séance

Vendredi 16 octobre, Assemblée plénière du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur. C’est la dernière de la mandature et c’est ma dernière séance. Parce que le moment est venu du renouvellement générationnel et que le non cumul de mandats s’étend à en limiter le nombre ; parce que le moment est venu de me consacrer à la bataille idéologique et culturelle.
La séance commence mal. Les médias  habituellement  absents de nos travaux sont ce jour au nombre de 40  pour les retrouvailles d’un grand-père et de sa petite-fille, les Le Pen !
Ma colère déborde quand je constate que toutes les caméras sont dirigées sur Jean-Marie le Pen, filmant la vraie-fausse réconciliation du vieux pétainiste avec la Maréchal (e), qu’il soutient aux régionales.
Je ne peux m’empêcher de suggérer à un cameraman de BFM tv de remplacer le M par un N tant je ne supporte plus la promotion permanente du FN. Il est urgent de libérer les médias.
Heureusement cette dernière séance ne se résume pas à cet épisode tragi-comique. Des délibérations pour lesquelles le Front de gauche s’est battu sont votées en faveur des réfugiés, des transports collectifs ou du logement social. Mais cela n’intéresse pas ces médias qui ont déserté l’hémicycle. Le quotidien des populations qui souffrent ne semble pas les concerner.
L’hémicycle se vide, à l’exception notable des groupes Front de gauche et Verts dont les élus sont présents jusqu’à la fin, autour de minuit.
Je reste avec mes camarades, en remuant mes propres souvenirs des 18 années d’exercice de mon mandat. Ce fut d’abord entre 1998 et 2010, une période de projets et de grands débats publics parce que nous avions décidé de ne rien faire sans la co-construction citoyenne. Pour la part de responsabilité que j’assumai, la politique régionale en direction de l’université, la recherche et la culture, ce fut avec tous les acteurs, l’élaboration du schéma régional de l’enseignement supérieur et de la recherche  ou encore la tenue des assises régionales de la culture pour élaborer la délibération qui continue d’inspirer la politique culturelle de la Région.
Ce fut aussi les luttes, aux côtés des chercheurs pour « sauver la recherche » et des intermittents contre les décisions de l’Etat et du Medef. Ce fut une période créative dans beaucoup de domaines, aujourd’hui balayée par les vents austéritaires qui soufflent fort dès 2007 sous Sarkozy puis sous Hollande à partir de 2012.
Au point d’avoir fait de ce dernier mandat une sorte de chemin de croix. Comment au sein d’un exécutif régional acquis à la politique gouvernementale, défendre nos populations et nos territoires entrés dans la spirale de la récession, du chômage et du mal logement ? Comment le faire en n’oubliant pas de combattre la droite et le FN, à l’affut,  parce que la politique actuelle prépare leur retour aux affaires. Nous l’avons pourtant fait avec mes camarades du groupe Front de gauche en nous appuyant sur le mouvement social comme sur le dialogue citoyen.
Une page se tourne pour moi, dans cet hémicycle quasi désert de cette fin de soirée d’automne. Je me fais la réflexion qu’il est temps, grand temps, que la gauche trouve un nouveau souffle, social, écologique, culturel et citoyen. C’est une tâche difficile mais exaltante qui demande à tous ceux qui s’y attèlent courage et volonté. Je suis bien décidé à continuer d’y prendre ma part car « ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » (Victor Hugo).