jeudi 19 février 2015

Apartheid, ghetto, peuplement : le tryptique diabolique

La simultanéité de la visite de Valls à Marseille avec les règlements de comptes dans la cité de la Castellane est d’une symbolique dévastatrice. Elle montre à quel point sa réponse sécuritaire est inefficace et pas à la hauteur des problèmes. Sa réflexion repose sur un tryptique inopérant et dangereux.
Apartheid : outre l’aberration qui consiste à comparer l’incomparable, ce mot fige une réalité d’une grande complexité, stigmatise des territoires, faussement qualifié de zones non-droits et construit dans l’imaginaire des français un ennemi de l’intérieur. Il ethnicise une situation qui relève d’une crise identitaire fortement contextualisée par la crise sociale.
Ghetto : il renforce l’idée d’extériorité à la société française et culpabilise les populations concernées. Ce sont elles qui se regrouperaient et qui refuseraient de s’intégrer à notre pays. Ghetto renvoie à un autre qualificatif : « population issue de l’immigration ». Comme si « ces gens-là » n’étaient pas français à part entière. Comme s’ils avaient encore à payer une dette.
Peuplement : il fleure bon la préférence nationale et le concept éculé du seuil de tolérance. En quoi la mixité sociale peut-elle résoudre les difficultés d’une population qui, où qu’elle se trouve, continuera d’être confrontée aux mêmes enjeux, l’emploi, le logement, l’école, la santé, la culture.
On ne change pas le peuple quand il ne vous convient pas. Il est le peuple et il le restera sauf à organiser des déportations massives, imaginées d’ailleurs par des esprits malades dont s’inspire le FN.
Le lien entre ces 3 termes est diabolique. Il laisse entendre que ce sont les quartiers populaires et les populations qui y vivent qui ont un problème avec la société française, la République et l’Etat. Or c’est au contraire notre société et ses pouvoirs publics qui ont un problème avec les classes populaires et les territoires au sein desquels elles ont été reléguées.
Qui est responsable du chômage de masse qui frappe, les espaces marqués par la désindustrialisation et la paupérisation ?
Qui a produit un logement social ségrégué hors des centralités ?
Qui n’a pas vu venir la crise de l’école et son inadaptation aux enjeux d’aujourd’hui ?
Qui a mis en œuvre des politiques de la ville réduite à des emplâtres hors de tout impact réel sur l’emploi et les services publics ?
Qui a soufflé sur les braises de la division entre « eux » et « nous », comme s’il s’agissait d’une incompatibilité ethnique ou religieuse, diffamant des cités et des populations ?
Qui enfin pense que seule l’option sécuritaire et répressive est possible, faisant resurgir du 19e siècle le spectre des classes dangereuses et l’idée de châtiment ?
En réalité ces quartiers et ces populations sont le symptôme de notre société, malade de ses inégalités, gangrénée par le racisme et la division, hantée par la peur de connaitre l’extrême précarité.
Tel Tartuffe nous voudrions bien cacher ces misérables que nous ne saurions voir. Mais c’est impossible et il nous faudra bien nous poser la seule question qui vaille : comment garantir à tous l’égalité des droits dans la République une et indivisible, le partage du travail et des richesses, l’appropriation des savoirs et des cultures, l’exercice libre et fraternel de la citoyenneté
 

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