vendredi 4 mars 2011

Présumé coupable

Le drame vécu par la jeune Laëtitia sert une nouvelle fois de prétexte à une opération politicienne dont Nicolas Sarkozy a le secret : stigmatiser les magistrats, afin de les livrer à la vindicte de l’émotion populaire. Mais le but qu’il recherche, remonter dans les sondages, ne sera probablement pas atteint et l’opération risque de se retourner contre lui.

Alors même qu’il tentait se « représidentialiser » et se mettre au niveau du G20 et des grands défis auxquels le monde est confronté, voilà qu’à la première occasion il ne peut s’empêcher de redescendre à la hauteur du caniveau. Pour la première fois dans leur histoire, les magistrats et les policiers, qui n’ont pas le droit de grève, réagissent solidairement et révèlent l’ampleur du mal dont nous souffrons et la responsabilité écrasante du pouvoir. La semaine dernière ce sont les CRS marseillais qui observent une grève de la faim et obtiennent le maintien de leur compagnie ; aujourd’hui ce sont les magistrats qui repoussent les audiences, prélude à un mouvement inédit et où les prises de position convergentes des personnels de justice et de police est aussi une première. Le mal est profond. C’est une crise des moyens : la France est en Europe le pays qui dispose du plus petit budget pour la justice par habitant. La RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) a conduit les ministres successifs de l’intérieur et de la justice à tailler dans les effectifs, à fermer tribunaux et commissariats.

C’est une crise du sens même de l’action menée : le discours de Grenoble a été le point d’orgue d’une démarche sécuritaire qui ne conçoit le traitement des problèmes qu’en terme répressifs. La multiplicité des lois sur la récidive (6 depuis 2002), les lois sur les peines planchers et sur la rétention de sureté ont été décidées chaque fois dans l’émotion suscitée par un évènement dramatique.

C’est une crise politique : la France est le seul pays occidental où le procureur obéit aux ordres du pouvoir et où les gardes à vue, systématisées du fait de l’hystérie sécuritaire, se déroulent sans avocats de la défense. La Cour Européenne de Justice ne cesse de dénoncer ces anomalies en contradiction avec l’Etat de droit sans parler du respect des droits fondamentaux de la personne humaine.

Faire de la sécurité un axe prioritaire, faire croire que la répression en est l’unique moyen, constituent une erreur grossière parce que c’est inefficace : rien ne nous garantit que telle ou telle personne ne commettra jamais un crime et les lois contre la récidive n’ont jamais empêché d’autres crimes.

Mais c’est aussi une faute politique qui révèle une conception erronée des sociétés humaines : la violence n’est pas « naturelle » à l’espèce humaine, elle est le produit des conditions sociales de vie et des rapports des être humains entre eux. Il faut des moyens pour traiter les problèmes d’aujourd’hui, mais il faut aussi promouvoir un autre « vivre ensemble » qui ne peut être fondé sur la concurrence voire la guerre mais sur plus de justice et d’égalité, de solidarité et de coopération, de fraternité et de liberté entre les êtres humains. C’est un choix de civilisation.

Quand Nicolas Sarkozy, en contradiction avec la loi, traite l’agresseur de Laëtitia de « présumé coupable » il commet un acte manqué. C’est de lui dont il veut parler, coupable, même pas présumé, d’avoir fixé un cap à sa politique : celui de construire une société répressive, liberticide et antisociale.

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