jeudi 7 avril 2011

Culture : une nouvelle ambition politique avec le Front de Gauche

Front de Gauche
Pour l’Art, la Culture et l’Information
Projet de texte d’orientation pour un programme populaire partagé
Culture : une nouvelle ambition politique

Le Front de Gauche affirme son ambition résolue de mettre l’art, la culture et l’information au cœur de son projet politique de transformation sociale, d’émancipation humaine, de révolution citoyenne et de planification écologique.

La culture n’est pas une thématique parmi d’autres. Elle donne le sens global de l’action publique et elle mobilise des acteurs qui occupent une place éminente dans le tissu éducatif, social, économique et médiatique.

Plus fondamentalement nous sommes convaincus que la création artistique, l’action culturelle, l'éducation populaire mais aussi la libre circulation des informations et des idées au même titre que la production et la diffusion des savoirs et des connaissances et leur appropriation par le peuple, sont des enjeux politiques majeurs pour ceux, comme nous, qui portons l’ambition d’une transformation progressiste de notre société.

L’art en contribuant à renouveler notre regard sur les choses et sur le monde, en faisant que nous acceptons d’être « dérangés » nous aide à accueillir les différences, la diversité, l’étonnement, l’interrogation, en cela il contribue à lutter contre les postures conservatrices, de repli, de crainte de l’autre.

Comment redonner à l’art l’exercice plein et entier de sa liberté pour qu’il nous aide à construire de nouveaux horizons ? Comment retrouver ce lien essentiel entre la création et l’appropriation populaire des œuvres et des pratiques artistiques ?
Comment remettre la démocratie culturelle, l’éducation populaire au cœur des avancées sociales ?
Comment convaincre que l’enjeu culturel concerne tout le monde, pas seulement les acteurs culturels ?
Comment convaincre que le social ne peut être dissocié du culturel, qu’il faut cesser de les opposer dans les arbitrages budgétaires ?
Peut-on sérieusement envisager de rompre avec le capitalisme, le libéralisme et toutes les formes de domination et d’aliénation sans investir le champ du sensible, de l’imaginaire et du symbolique ?
La reconquête politique et idéologique des classes populaires ne passe t-elle pas pour une part importante par là ?

Il s’agit aussi de mettre en débat les alternatives permettant de nommer les souhaits communs de celles et ceux qui rêvent d’un nouveau monde. Nous voulons faire de la culture un moteur de la transformation sociale et du respect de la diversité culturelle, un élément constitutif d’une nouvelle politique de développement humain, pour contribuer à construire un « autre monde ». Les forces de la création, conjointement à celles du travail, ne doivent-elles pas engager le combat contre les mots et les normes que cette société capitaliste financière essaye de modeler à l’image de son fonctionnement en imposant ses seuls critères quantitatifs et concurrentiels à tout le champ des activités humaines ?

L’élaboration des réponses à ces questions est d’autant plus urgente que le mouvement culturel est en prise avec les ruptures régressives que tente de lui imposer le sarkozysme.
 
Contrairement à une idée répandue le pouvoir actuel a un projet culturel. Il commence par une offensive contre le service public de la culture et les politiques mises en place depuis la libération et le CNR, institutionnalisées et généralisées après la création du ministère en 1959 et accompagnées depuis par les collectivités territoriales.

C’est en effet :

- Toujours plus de difficultés pour les professionnels des arts, du spectacle et de l’audiovisuel pour se maintenir dans l’emploi ;
- La RGPP et les désengagements financiers qui réduisent le périmètre de l’action publique du ministère et de ses directions régionales ;
- La réforme territoriale qui menace de mettre en danger les financements croisés des collectivités en faveur des arts et de la culture, des enseignements artistiques, de l’action culturelle et de l’éducation populaire…

À cela s’ajoute depuis peu le procès en élitisme instruit à l’encontre des artistes et de l'ensemble des acteurs culturels accusés d’intimider le peuple et d’être responsable de l’échec de la démocratisation culturelle, encore faut-il mesurer en quoi réside cet échec et s’il est aussi avéré qu’on veut nous le faire croire.

Confronté à la raréfaction de l’investissement public qu’il organise, il tente d’instrumentaliser l’art et la culture à des fins de paix sociale en théorisant autour d’une « culture pour chacun » devenue « culture partagée » qui n’aboutit en fait qu’à enfermer des groupes sociaux entiers dans « leur » culture supposée, au lieu d’ouvrir largement, le partage et l'appropriation par toutes et tous de toutes les cultures.

En fait, il s’agit de maintenir la paix sociale fortement mise à mal par les politiques néolibérales. Nous sommes bien dans la logique d’une droite décomplexée dans le champ culturel comme dans tout ce qui touche à l’humain : amoindrir la puissance publique au profit des intérêts mercantiles, casser les solidarités au profit d’une segmentation et d'une division du peuple.
Le projet culturel du pouvoir veut se construire sur les ruines du service public selon trois ordres :

L’ordre de l’argent en poussant les feux de la marchandisation de l’art et de la culture dans une vision consumériste où l’individu prétendu libre est seul face au marché des « produits » culturels. Certains rêvent même de substituer à l’actuel ministère de la culture un ministère de l’économie et des industries culturelles.

L’ordre moral autour de l’identité nationale et ses avatars, une vision passéiste et mercantile du patrimoine, le retour aux valeurs conservatrices du repli sur soi, du rejet de l’autre et de la diversité culturelle. La réalisation de la Maison de l’Histoire de France s’inscrit dans cette démarche.

L’ordre du jeu d'argent et du tout divertissement en privatisant les médias audiovisuels et le web autour du moins disant culturel, de la dictature de l’audimat et de l’omniprésence de la publicité.

« Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve » écrivait Hölderlin. Le temps de la résistance ne peut se concevoir aujourd’hui que dans le temps de la rupture et de la reconstruction d’une alternative à ce monde vermoulu par l’argent, la concurrence entre les individus, la peur et la haine de l’autre.

C’est pourquoi, à ce renversement réactionnaire de perspective, à ce tournant doctrinal impulsé par la droite, le Front de Gauche propose de soumettre au débat d’élaboration d’un projet culturel de gauche plusieurs ambitions fortes qui pourraient déboucher sur une loi d’orientation et de programmation pour les arts et la culture :

 Refonder en le transformant notre service public de l’art et de la culture en donnant un nouvel essor aux politiques publiques d’aide à la création artistique. L’art n’est pas intimidant en soi, il est indispensable à toute visée émancipatrice et il a besoin de liberté et de moyens accrus. Nous réaffirmons la responsabilité nationale de l'État à l’égard de la création et la nécessité d’une intervention publique forte dans le même temps, pour créer les conditions de son partage par le plus grand nombre, ce qui passe par une augmentation significative du budget « culture ».

 Fixer le cadre réglementaire d'une compétence partagée entre l'État et les collectivités territoriales au sein d'une décentralisation démocratique leur garantissant des moyens nouveaux. Sur la base d’une vaste débat national et décentralisé, en particulier grâce à la mise en place des conférences régionales permanentes pour l’art et la culture, nous lancerons le chantier de la redéfinition des finalités et des moyens des dispositifs d’aide à la création, les statuts et les cahiers des charges des établissements culturels, la progression des droits sociaux des professionnels des arts et de la culture, les formes et les moyens de l'action culturelle, l'éducation artistique à l'école, la place de l'art dans l'espace du travail comme dans celui de la ville, ainsi qu'auprès des publics « empêchés » (hôpitaux et prisons...)

 Réaffirmer le lien étroit entre les politiques de soutien à la création et notre ambition majeure de démocratie culturelle. Nous donnerons un nouvel élan à l’éducation populaire et à l’action culturelle qui permettent à chacune et à chacun, singulièrement dans les classes sociales écartées des voies classiques d’accès à la culture, de s’approprier et/ou de produire à l’école, les œuvres et les pratiques artistiques, dans les entreprises, dans les villes et les territoires, de s’exprimer au sein de pratiques innovantes, de s’épanouir dans le vivre ensemble, l’ouverture aux autres et la solidarité de tous.

 Renforcer l’intervention publique permettant de maintenir l’art et la culture dans l’exception aux règles de la concurrence libre et non faussée par le développement des outils publics de création et de diffusion.

 Conforter en l’affranchissant des puissances de l’argent notre économie et nos industries de la culture. Il s’agit de soutenir l’émergence d’une économie sociale, solidaire et durable, contre la domination des grands majors du cinéma de la musique et de l'édition, contre la toute puissance du marché de l’art sur les arts visuels et plastiques, pour défendre une édition, une distribution et une diffusion indépendantes de production, de distribution et de diffusion des œuvres artistiques dans toutes leur diversité.

 Encourager le pluralisme de la création cinématographique et audiovisuelle par une réforme du fonds de soutien, permettant une meilleure redistribution, une augmentation de l’avance sur recettes et des aides sélectives à la diversité et à la coopération culturelles.

 Promouvoir un Internet libre, interactif et citoyen par la mise en place d’un service public d’accès aux réseaux, des plateformes publiques de téléchargement tout en garantissant les droits et les rémunérations des créateurs et des auteurs, contre la fracture numérique et la « googlelisation » de cette formidable révolution technologique au potentiel émancipateur considérable.

 Développer une politique des médias et de l’information qui s’appuie sur le triptyque liberté, démocratie et culture. Permettre aux citoyens de se former à une lecture critique des médias via l’école, les universités et l’éducation populaire. Il s’agit de soustraire les médias à la domination des pouvoirs politiques et économiques et pour cela en premier lieu relancer les dispositifs anti-concentration concernant les grands organes de presse, de télévision et sur internet dans le but de promouvoir le pluralisme des idées et de la création. Nous reconstruirons un service public de l’audiovisuel, de la production à la diffusion, associant les salariés et leurs représentants, les usagers et les élus à sa gestion, à l’évaluation des missions de service public et aux nominations. Le CSA sera démocratisé, sa composition sera modifiée, ses compétences élargies pour une appréciation qualitative des programmes audiovisuels, notamment ceux aidés par les pouvoirs publics et donner à ses sanctions un caractère réellement dissuasif. Les radios et télévisions à but non lucratif seront développées et financées par un fonds de soutien à l’expression audiovisuelle. A une époque où chaque citoyen regarde la télévision environ 3heures et demie par jour, celle-ci doit pouvoir affirmer sa triple fonction à vocation civique: information, divertissement, et culture. Il faut réaffirmer la vocation des pouvoirs publics à réguler le secteur de l’audiovisuel, à sauvegarder la dimension créatrice des programmes de télévision, à défendre l’indépendance des auteurs et des producteurs et à maintenir une offre diversifiée d’œuvres de qualité.

 Redéfinir une politique d’aide à la presse permettant de l’affranchir du pouvoir des puissances industrielles et financières, de garantir l’indépendance des journalistes et des rédactions, le pluralisme politique, idéologique et culturel.

 Relancer, au plan européen et international, notre combat pour le respect des principes de l’exception culturelle en agissant pour la mise en application effective de la Convention UNESCO de 2005 sur la diversité culturelle et la prééminence de ses principes sur les règles de l’OMC.
Le gouvernement et le parlement engageront cette grande ambition dans le cadre d’un vaste débat public, national, décentralisé et ouvert à tous les acteurs culturels comme à l’ensemble des citoyens. Celui-ci portera tout à la fois sur le sens de cette politique culturelle comme sur les moyens nécessaires à sa réalisation.
Paris le 4 mars 2011.

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