Force est de constater qu’il demeure toujours des difficultés
importantes à affronter le FN dans le débat public mais également dans l’espace
de la cité comme dans celui du travail.
Parfois
encore on évite de le faire, on fait le dos rond en attendant que ça passe
comme si le vote en sa faveur ne serait qu’un mouvement passager, le simple cri
d’une opinion en colère.
Persiste
également une tendance à la diabolisation analysant l’émergence du FN comme la
reproduction à l’identique des années 30. On inscrit alors ce combat soit dans
l’étroitesse d’une stratégie front contre front, soit dans la recherche
désespérée d’un front républicain, qui évacue le débat de fond sur la politique
menée, au profit d’un cordon sanitaire qui a pourtant volé en éclats.
3 questions
politiques me semblent essentielles à traiter si l’on veut dépasser ces
difficultés et passer réellement à la contre-offensive.
- En premier lieu c’est à la définition
même de l’objet politique que nous combattons qu’il faut nous atteler.
Si l’émergence
du FN ne renvoie fondamentalement ni à une protestation, ni à un bégaiement de
l’histoire, alors comment le définir ? A l’instar de ce qui se passe dans
une quinzaine de pays européens je pense qu’il s’agit de l’émergence d’une
nouvelle droite national- populiste regroupant des forces issues de l’extrême
droite mais aussi une part importante des droites conservatrices, bonapartistes
et traditionalistes au sens moral du terme. Ce mouvement politique est le
symptôme de la perte de repère qui affecte les sociétés contemporaines,
confrontées tout à la fois aux effets sociaux dramatiques des politiques
néolibérales, à la crise identitaire
consécutive de la fin de la domination de l’occident sur le reste du monde
comme à l’implosion de l’ex- empire soviétique.
Ce national-populisme
se définit lui-même comme une alternative au capitalisme libéral, financiarisée,
mondialisée et libertaire sur le plan des valeurs. Il lui oppose et veut lui
substituer une autre vision du capitalisme, replié sur ses frontières nationales
et instaurant la concurrence à cette échelle, promouvant des régimes
autoritaires et décidé à affronter dans « un choc de civilisations »
les nouveaux barbares qui menacent la «civilisation », entendez la
civilisation, occidentale, blanche et chrétienne. C’est dans cette perspective
qu’il définit de nouvelles formes de racisme et d’exclusion, islamophobes et
africanophobes notamment. Enfin et ce n’est pas le moins important, ce
national-populisme prône le retour aux valeurs qu’il estime « naturelles »
de la famille, de l’autorité, du patriarcat et de la virilité masculine. Il
rejoint par là, dans des formes moins exacerbé, les intégrismes religieux qui
caractérisent les populismes prospérant dans les autres continents.
Cette
dangereuse évolution des droites européennes dont l’ambition est clairement
l’accès au pouvoir doit être combattu pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle
offre comme perspective à l’imaginaire de la peur qui gagne les peuples
européens, singulièrement le nôtre.
En France,
le national populisme est à l’origine d’un vaste processus de recomposition
politique qui n’affecte pas seulement la droite au sein de laquelle il est en
passe de devenir la force dominante. Au bout de ce processus le danger est grand de voir s’installer un face à face entre
deux pôles et deux projets politiques, l’un néolibéral, mondialiste et
libertaire et l’autre national-populiste et néoconservateur.
Face à face
mortifère pour l’avenir si une alternative de gauche ne parvient pas à se
construire en France et en Europe fondée sur une vision sociale, écologique et
culturelle d’une nouvelle société d’émancipation humaine.
-En second lieu notre difficulté me semble résider dans la
vision que nous avons du peuple de France.
Celui-ci est
profondément divisé et cette division, que Marine le Pen et d’autres exploitent,
pose un problème politique majeur à la gauche de transformation de sociale.
Cette division prend d’abord la forme d’une fragmentation sociale et
territoriale. D’un côté c’est la marginalisation sociale, spatiale et
culturelle d’une part très importante des catégories populaires urbaines
souvent d’origine immigrée.
De l’autre
c’est la peur du déclassement au sein des territoires péri-urbains des couches
moyennes qui ont accédé récemment à la propriété et ont connu une relative ascension
sociale mais qui sont rattrapées par la précarité voire le chômage.
Enfin c’est
la fragmentation ethnique que nous avons trop tendance à nier et à rejeter
globalement dans le phénomène dit « communautariste ». Or il faut
regarder en face la réalité : une part essentielle des classes populaires
dans notre pays est désormais constituée des générations issues des dernières
migrations africaines et arabo-musulmanes.
Il est
impératif de considérer qu’il s’agit d’une part intégrante de notre peuple et
que sa mise en mouvement est décisive pour les forces de gauche qui agissent en
faveur de la transformation sociale. Pour cela il est indispensable de
comprendre que ces populations subissent une double ségrégation, l’une de
caractère sociale en termes de chômage, d’habitat ou d’accès aux droits,
l’autre de caractère xénophobe et discriminatoires. Il est essentiel, de mener
ces combats de pair en ne cherchant pas
à masquer le second, même si nous sommes confrontés à des contradictions réelles.
Je pense en particulier aux idéologies intégristes, Sauralienne et
Dieudonnesque, ou encore à la nécessité de mener le combat féministe.
Enfin il est
urgent de renouer les liens de solidarité entre les populations urbaines et
périurbaines, entre les salariés dans les entreprises quelques soient les
cultures et les origines, les appartenances territoriales, et les statuts
professionnels afin de mener ensemble les luttes contre les véritables causes
de la crise. Cela suppose de mener une immense bataille d’idées et de
reconquête d’une hégémonie culturelle. C’est la condition de la construction
d’une nouvelle conscience de classe des opprimés et des dominés.
- En dernier lieu quelques mots
complémentaires sur le terrain des idées. Outre la définition de son rapport au
capitalisme et au peuple que je viens d’aborder l’idéologie national-populiste
nous pose des problèmes sur au moins 3 thèmes : l’immigration, la nation
et la laïcité que j’aborderai brièvement
Sur
l’immigration : celle-ci représente-t-elle un coût ou une richesse ?
Outre le fait que les statistiques officielles répondent clairement à cette
question en montrant qu’il s’agit d’une richesse, il est très étonnant que ceux
qui se réclament de Marx ne soient pas capable de trouver des arguments clairs
et populaires pour refuser la théorie qui fait du travail comme de l’immigré un coût et non
une richesse.
En outre
affirmer que l’immigration est la cause de la crise ne tient pas si l’on
examine la situation de 2 pays européens : la Grèce, sans doute le pays
qui en Europe supporte le plus le poids de la crise n’est pas un pays
d’immigration ! Et la Suisse qui accueille depuis plusieurs décennies une
main d’œuvre immigrée ne connait pas la crise !
Sur la
nation : parce que Nicolas Sarkozy et Marine le Pen agitent en permanence
le concept d’identité nationale, faut-il s’évertuer à se réapproprier le
drapeau national ou bien faut-il plutôt dire qu’elle est notre conception de la
nation, de l’Europe et du monde d’aujourd’hui. « Notre France » n’est
pas celle de Marine le Pen, elle est ouverte et non replié, solidaire et non
égoïste, fraternelle et non xénophobe. Il est possible de rassembler largement autour
d’une telle conception par exemple à propos du droit de vote des étrangers.
Sur la
laïcité : pourquoi avons-nous tant de mal à répondre à Marine le Pen quand
elle invoque la laïcité contre l’Islam ? Sans doute parce que nous n’avons
pas encore définitivement crevé l’abcès que constitue notre propre conception
de la laïcité. P. Dharéville dans son livre nous incite à nous libérer de la
vulgate stalinienne ou de la conception « laïcarde » de la laïcité
qui font de la religion un obstacle au combat émancipateur. Marx n’a jamais
réduit sa pensée sur la question à la théorie de « l’opium du peuple »
puisque dans la même phrase il parle du « soupir de la créature
opprimée ».Cette vision dialectique nous a inspiré dans les années 30
quand M. Thorez tendait la main aux travailleurs chrétiens. Car pour en revenir
à l’actualité, l’ennemi ce n’est pas l’Islam (quoiqu’en pense Alain
Finkielkraut) l’ennemi c’est le capital. L’heure est donc venue de nous adresser aux
populations qui se réclament de l’Islam et de leur tendre la main pour mener
ensemble les débats et les combats émancipateurs d’aujourd’hui en pariant ainsi
sur l’avenir.
Pour plus de
développements je vous renvoie à mon livre :
Face au FN.
La contre-offensive. Ed. Arcane 17. 2014
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