jeudi 25 septembre 2014

Mon intervention au CN vendredi 19 septembre 2014 sur le FN

Force est de constater qu’il demeure toujours des difficultés importantes à affronter le FN dans le débat public mais également dans l’espace de la cité comme dans celui du travail.
Parfois encore on évite de le faire, on fait le dos rond en attendant que ça passe comme si le vote en sa faveur ne serait qu’un mouvement passager, le simple cri d’une opinion en colère.
Persiste également une tendance à la diabolisation analysant l’émergence du FN comme la reproduction à l’identique des années 30. On inscrit alors ce combat soit dans l’étroitesse d’une stratégie front contre front, soit dans la recherche désespérée d’un front républicain, qui évacue le débat de fond sur la politique menée, au profit d’un cordon sanitaire qui a pourtant volé en éclats.
 
3 questions politiques me semblent essentielles à traiter si l’on veut dépasser ces difficultés et passer réellement à la contre-offensive.
-      En premier lieu c’est à la définition même de l’objet politique que nous combattons qu’il faut nous atteler.
Si l’émergence du FN ne renvoie fondamentalement ni à une protestation, ni à un bégaiement de l’histoire, alors comment le définir ? A l’instar de ce qui se passe dans une quinzaine de pays européens je pense qu’il s’agit de l’émergence d’une nouvelle droite national- populiste regroupant des forces issues de l’extrême droite mais aussi une part importante des droites conservatrices, bonapartistes et traditionalistes au sens moral du terme. Ce mouvement politique est le symptôme de la perte de repère qui affecte les sociétés contemporaines, confrontées tout à la fois aux effets sociaux dramatiques des politiques néolibérales,  à la crise identitaire consécutive de la fin de la domination de l’occident sur le reste du monde comme à l’implosion de l’ex- empire soviétique.
Ce national-populisme se définit lui-même comme une alternative au capitalisme libéral, financiarisée, mondialisée et libertaire sur le plan des valeurs. Il lui oppose et veut lui substituer une autre vision du capitalisme, replié sur ses frontières nationales et instaurant la concurrence à cette échelle, promouvant des régimes autoritaires et décidé à affronter dans « un choc de civilisations » les nouveaux barbares qui menacent la «civilisation », entendez la civilisation, occidentale, blanche et chrétienne. C’est dans cette perspective qu’il définit de nouvelles formes de racisme et d’exclusion, islamophobes et africanophobes notamment. Enfin et ce n’est pas le moins important, ce national-populisme prône le retour aux valeurs qu’il estime « naturelles » de la famille, de l’autorité, du patriarcat et de la virilité masculine. Il rejoint par là, dans des formes moins exacerbé, les intégrismes religieux qui caractérisent les populismes prospérant dans les autres continents.
Cette dangereuse évolution des droites européennes dont l’ambition est clairement l’accès au pouvoir doit être combattu pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle offre comme perspective à l’imaginaire de la peur qui gagne les peuples européens, singulièrement le nôtre.
En France, le national populisme est à l’origine d’un vaste processus de recomposition politique qui n’affecte pas seulement la droite au sein de laquelle il est en passe de devenir la force dominante. Au bout de ce processus le danger est  grand de voir s’installer un face à face entre deux pôles et deux projets politiques, l’un néolibéral, mondialiste et libertaire et l’autre national-populiste et néoconservateur.
Face à face mortifère pour l’avenir si une alternative de gauche ne parvient pas à se construire en France et en Europe fondée sur une vision sociale, écologique et culturelle d’une nouvelle société d’émancipation humaine.
-En second lieu notre difficulté me semble résider dans la vision que nous avons du peuple de France.
Celui-ci est profondément divisé et cette division, que Marine le Pen et d’autres exploitent, pose un problème politique majeur à la gauche de transformation de sociale. Cette division prend d’abord la forme d’une fragmentation sociale et territoriale. D’un côté c’est la marginalisation sociale, spatiale et culturelle d’une part très importante des catégories populaires urbaines souvent d’origine immigrée.
De l’autre c’est la peur du déclassement au sein des territoires péri-urbains des couches moyennes qui ont accédé récemment à la propriété et ont connu une relative ascension sociale  mais qui sont rattrapées par  la précarité voire le chômage.
Enfin c’est la fragmentation ethnique que nous avons trop tendance à nier et à rejeter globalement dans le phénomène dit « communautariste ». Or il faut regarder en face la réalité : une part essentielle des classes populaires dans notre pays est désormais constituée des générations issues des dernières migrations africaines et arabo-musulmanes.
Il est impératif de considérer qu’il s’agit d’une part intégrante de notre peuple et que sa mise en mouvement est décisive pour les forces de gauche qui agissent en faveur de la transformation sociale. Pour cela il est indispensable de comprendre que ces populations subissent une double ségrégation, l’une de caractère sociale en termes de chômage, d’habitat ou d’accès aux droits, l’autre de caractère xénophobe et discriminatoires. Il est essentiel, de mener ces combats de pair  en ne cherchant pas à masquer le second, même si nous sommes confrontés à des contradictions réelles. Je pense en particulier aux idéologies intégristes, Sauralienne et Dieudonnesque, ou encore à la nécessité de mener le combat féministe.
Enfin il est urgent de renouer les liens de solidarité entre les populations urbaines et périurbaines, entre les salariés dans les entreprises quelques soient les cultures et les origines, les appartenances territoriales, et les statuts professionnels afin de mener ensemble les luttes contre les véritables causes de la crise. Cela suppose de mener une immense bataille d’idées et de reconquête d’une hégémonie culturelle. C’est la condition de la construction d’une nouvelle conscience de classe des opprimés et des dominés.
-      En dernier lieu quelques mots complémentaires sur le terrain des idées. Outre la définition de son rapport au capitalisme et au peuple que je viens d’aborder l’idéologie national-populiste nous pose des problèmes sur au moins 3 thèmes : l’immigration, la nation et la laïcité que j’aborderai brièvement
Sur l’immigration : celle-ci représente-t-elle un coût ou une richesse ? Outre le fait que les statistiques officielles répondent clairement à cette question en montrant qu’il s’agit d’une richesse, il est très étonnant que ceux qui se réclament de Marx ne soient pas capable de trouver des arguments clairs et populaires pour refuser la théorie qui fait  du travail comme de l’immigré un coût et non une richesse.
En outre affirmer que l’immigration est la cause de la crise ne tient pas si l’on examine la situation de 2 pays européens : la Grèce, sans doute le pays qui en Europe supporte le plus le poids de la crise n’est pas un pays d’immigration ! Et la Suisse qui accueille depuis plusieurs décennies une main d’œuvre immigrée ne connait pas la crise !
Sur la nation : parce que Nicolas Sarkozy et Marine le Pen agitent en permanence le concept d’identité nationale, faut-il s’évertuer à se réapproprier le drapeau national ou bien faut-il plutôt dire qu’elle est notre conception de la nation, de l’Europe et du monde d’aujourd’hui. « Notre France » n’est pas celle de Marine le Pen, elle est ouverte et non replié, solidaire et non égoïste, fraternelle et non xénophobe. Il est possible de rassembler largement autour d’une telle conception par exemple à propos du droit de vote des étrangers.
Sur la laïcité : pourquoi avons-nous tant de mal à répondre à Marine le Pen quand elle invoque la laïcité contre l’Islam ? Sans doute parce que nous n’avons pas encore définitivement crevé l’abcès que constitue notre propre conception de la laïcité. P. Dharéville dans son livre nous incite à nous libérer de la vulgate stalinienne ou de la conception « laïcarde » de la laïcité qui font de la religion un obstacle au combat émancipateur. Marx n’a jamais réduit sa pensée sur la question à la théorie de « l’opium du peuple » puisque dans la même phrase il parle du « soupir de la créature opprimée ».Cette vision dialectique nous a inspiré dans les années 30 quand M. Thorez tendait la main aux travailleurs chrétiens. Car pour en revenir à l’actualité, l’ennemi ce n’est pas l’Islam (quoiqu’en pense Alain Finkielkraut) l’ennemi c’est le capital. L’heure  est donc venue de nous adresser aux populations qui se réclament de l’Islam et de leur tendre la main pour mener ensemble les débats et les combats émancipateurs d’aujourd’hui en pariant ainsi sur l’avenir.
Pour plus de développements je vous renvoie à mon livre :
Face au FN. La contre-offensive. Ed. Arcane 17. 2014
 

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