vendredi 24 octobre 2014

Nobel : le vrai et le faux

Les cocoricos n’ont cessé de retentir ces derniers jours à propos de l’attribution du Prix Nobel à deux français, l’écrivain Patrick Modiano et l’économiste Jean Tirole.
Mais nos observateurs, quelque peu chauvins, sont passés à côté de différences pourtant essentielles entre ces prix.
En premier lieu l’un est un vrai prix Nobel, attribué par le vrai jury de l’Académie Nobel : il s’agit de celui de littérature couronnant Patrick Modiano pour l’ensemble de son œuvre.
L’autre est un faux Nobel : il s’agit en fait du « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques « attribué en l’honneur d’Alfred Nobel ». Car en fait il n’existe pas à proprement parler de prix Nobel d’économie. Le prix de la Banque de Suède, à une exception près, a toujours été attribué à des économistes appartenant à l’orthodoxie libérale dont le fameux théoricien de l’école de Chicago Milton Friedmann et qui sont en grande partie à l’origine des choix politiques désastreux qui nous ont conduits à la crise actuelle. Pourquoi la Banque de Suède a-t-elle choisi Jean Tirole ? Il est récompensé « pour avoir bien analysé la puissance des marchés et pour ses recommandations en faveur d’une dérèglementation dans les domaines de l’industrie, de la finance et du travail ». En effet l’économiste toulousain propose d’alléger le coût et le code du travail et en particulier de supprimer le CDI. Il est également un fervent partisan du marché mondial des permis d’émission de gaz à effet de serre, nouveau marché spéculatif qui a montré pourtant son inefficacité totale dans la lutte contre le changement climatique.
Jean Tirole est parfaitement représentatif du dogmatisme néo-libéral dominant pour qui la fonction de l’Etat est d’abord d’étendre la logique des marchés à l’ensemble de la vie sociale et culturelle. L’économie pour ces prétendus experts, ce ne sont pas des êtres humains, qui pensent, qui travaillent, qui produisent des richesses, qui consomment en fonction de leurs besoins….  Ce sont plutôt des abstractions mathématiques qui définissent les rapports entre l’offre et la demande, qui indiquent la courbe des profits et le yoyo spéculatif des places boursières.
A l’inverse Patrick Modiano est un écrivain à la parole rare mais dont l’œuvre éclaire la face sombre de notre mémoire, particulièrement celle de l’occupation. Ses romans, dont je suis depuis longtemps un fervent lecteur, font vivre des êtres complexes qui doutent et qui cherchent dans le passé à comprendre ce qu’ils sont. Il nous montre ainsi que le monde est fait de femmes et d’hommes qui nouent des rapports entre eux, qui inscrivent ces relations dans leur quotidien, comme dans leur espace sur lequel ils laissent des traces profondes à ceux qui aujourd’hui vivent, souffrent, imaginent et rêvent.
Ce Nobel-là est très proche de celui décerné à la pakistanaise Malala et à l’indien K. Satyarthi qui ont obtenu le Prix Nobel de la paix « pour leur combat contre l’oppression des enfants et pour le droit de tous les enfants à l’éducation ». Très exactement les victimes du capitalisme globalisé, financiarisé et dérèglementé que défend Jean Tirole.

 

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