Donc Fleur Pellerin ne lit pas. L’aveu est terrible. Beaucoup
ont dit pourquoi et je partage leur indignation. Elle symbolise parfaitement
l’actuel pouvoir socialiste, obsédée par la rationalité statistique, le calcul
des couts et qui puisent son inspiration dans la boite à outils libérale. Ils
n’ont donc que faire de la littérature, de la poésie et de la pensée, surtout
quand elle permet de rêver à un autre monde, de chercher un autre sens à la
condition humaine que celui promis par les eaux glacées du calcul égoïste et
les formes modernes de la barbarie.
Fleur Pellerin, entre nos deux prix Nobel préfère Jean
Tirole, grand prêtre de la toute-puissance du libre marché et même si elle n’a
pas lu Patrick Modiano il la dérange par sa propension à explorer notre mémoire
collective. Elle veut en finir avec notre histoire, singulièrement celle
incarnée par le ministère de la culture dont elle a pourtant la charge. Procès
d’intention ? Plusieurs de ses interventions récentes amènent légitimement
à se poser la question.
Le point de départ de sa pensée est constitué par ce qu’elle
nomme « les usages des consommateurs ». A l’aide de la théorie des
algorithmes de l’information, elle veut les aider « à se frayer un chemin
dans la multitude des offres pour accéder aux contenus qui sont pertinents pour
lui ». Elle ne parle pas d’œuvres, encore moins d’art mais de contenus.
Qu’est-ce qu’un contenu pertinent pour un consommateur ? En langage
libéral c’est un produit qui va à la rencontre non d’un être pensant mais d’un
individu isolé et passif qui n’a à offrir que « du temps de cerveau
disponible » pour acheter ce que le marché lui propose et lui impose.
Dans ce cadre, la révolution numérique, aux yeux de la
ministre, n’est qu’un outil de valorisation du capital, représenté ici par
Apple, Microsoft, Google, Amazon ou Netflix vis-à-vis desquels, compétitivité oblige, elle ne se
fixe comme objectif que de leur disputer des parts de marché au profit
d’entreprises françaises.
Il est possible d’entendre dans ce discours, l’enterrement du
ministère de la culture au profit d’un ministère des industries culturelles. Mais
à contrario on peut y déceler aussi les bases d’une contre-offensive pour
refonder l’action publique en faveur de l’art et la culture.
Contre la marchandisation, agissons pour favoriser les formes
nouvelles de production et de diffusion de l’art dans la pluralité de son
expression, pour multiplier les rencontres entre les créations, les artistes et
tous ceux qui ne les connaissent pas encore mais qui en ont besoin pour
comprendre le réel et imaginer sa transformation.
Contre l’inégalité galopante, agissons pour favoriser
l’appropriation sociale et citoyenne de l’art et de la culture, son partage au
sein d’une démocratie culturelle à l’école, dans la cité, et au travail.
Contre l’emprise de la finance sur la révolution numérique
qui est d’abord une révolution anthropologique, agissons pour faire vivre son
immense potentiel émancipateur par exemple en imaginant un service public de l’internet,
du libre partage des savoirs, des arts et des idées.
Contre le racisme et les divisions, agissons pour
reconstruire une culture commune universelle dans le partage des différences et
du vivre ensemble démocratique.
Rêvons avec Pasolini : « A dater de ce jour, leur
folie n’a plus été la folie de la peur mais la folie de l’homme qui
rêve ».
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