lundi 15 juin 2015

La loi du marché

Laurence Parisot a qualifié le film de Stéphane Brizet, primé à Cannes par le prix d’interprétation attribué à Vincent Lindon, de « film d’horreur » transformant en « cauchemar » la vie dans les entreprises. Allez donc voir « la loi du marché », un film remarquable « en prise directe avec le monde » pour reprendre l’expression utilisée par Vincent Lindon.
Qu’est-ce que nous raconte ce film ? Un ancien ouvrier au chômage longue-durée suite à une fermeture d’entreprise, est contraint de devenir agent de sécurité dans un hypermarché. Très vite il se rend compte que sa hiérarchie lui demande, non seulement de surveiller les clients indélicats mais aussi les caissières du magasin. Il le fait à l’aide de caméras de surveillance à qui rien n’échappe même le fait qu’une caissière garde des bons de réductions oubliés par des clients. Une manière sans doute de compenser les salaires bas et les temps partiels imposés.
En fait, le directeur de l’hypermarché, pressé par le groupe auquel il appartient de comprimer la masse salariale, cherche par tous les moyens à licencier sans indemnités. Thierry, le personnage principal du film, courbe l’échine mais à un moment il se relève et refuse de cautionner plus longtemps cette façon d’écraser les individus.
Telle est la loi du marché qui gêne Vincent Lindon « parce qu‘elle veut dire que tout le monde est présumé coupable ». Le chômeur devant le conseiller de Pôle-emploi, le stagiaire en formation devant son formateur, le client ou la caissière d’une grande surface devant un vigile aux ordres.
Le film montre à quel point la domination implacable de la loi du marché s’exerce à l’aide de cadres subalternes, qui sont autant d’intermédiaires, conscients ou non de leur rôle, entre les vrais responsables, jamais visibles, et des individus isolés, systématiquement mis en concurrence et placés face à un destin pourtant collectif.
Ce film montre la complexité et la multiplicité des canaux par lesquels passent aujourd’hui les mécanismes de l’aliénation à l’ordre établi. Autant de petits riens qui relèvent au quotidien une violence inouïe aux graves conséquences psychologiques que l’on ne mesure pas, jusqu’au geste fatal, le suicide. Et encore, quand il a lieu, un directeur des « ressources humaines » ( !) vient doctement expliquer que le caractère dramatique d’une telle démarche relève de l’intime et renvoie à une multiplicité de causes non réductibles donc à la seule vie professionnelle.
« Ce film cogne dure, mais il est bourré d’espoirs » nous dit encore Vincent Lindon qui s’est identifié à ce personnage, « un homme digne qui en bave et veut travailler ». Il refuse de se laisser écraser par « un système qui nous prend pour des bœufs et se fout de nous ».
Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ces propos sur un film qui constitue une bouffée d’air entre les sempiternelles comédies à la française et les énièmes films sur les relations sentimentales dans et hors du couple.
Vous avez sans doute compris pourquoi je vous conseille vivement de voir ce film qui a tant irrité Laurence Parisot.

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