lundi 16 novembre 2015

A propos d’André Glucksmann

La mort d’André Glucksmann a provoqué des réactions pour le moins contrastées. Dithyrambes à droite, hommage convenu et disproportionné dans les grands médias, gêne à gauche à dire clairement ce que l’on pense.
Certes, il est toujours difficile face à la mort, de ne pas s’incliner et je ne serai pas de ceux qui se livrent à je ne sais quel règlement de compte. André Glucksmann « ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité ». Il a été un acteur important d’une aventure intellectuelle profondément réactionnaire dans les années 70/80, celle des « nouveaux philosophes ». Les médias, qu’ils savaient parfaitement utiliser,  leur ont servi de caisse de résonnance. S’appuyant sur la dénonciation légitime du « soviétisme », sa crise puis son effondrement, ils dénoncèrent la figure d’un « totalitarisme de gauche », jetant le bébé communiste avec l’eau stalinienne du bain. *
Militant maoïste en mai 68, Glucksmann considère, dès les années 70, que toute pensée révolutionnaire devient suspecte de filiation totalitaire. S’inscrivant délibérément dans l’air du temps, le combat de l’Occident contre « l’Empire du mal », ces « nouveaux philosophes », dont la pensée était d’une indigence théorique rare, ont réussi à marginaliser la pensée marxiste et au-delà, toute pensée critique du système. Ils ont ouvert ainsi la voie au ralliement d’une part importante de la gauche française aux thèses libérales, voire néoconservatrice puisqu’on verra Glucksmann traiter la France de « Soviétique » parce qu’elle refusa de participer à la croisade des Bush en Irak. « Il était stalinien et devint atlantiste avec la même fougue et la même rhétorique exaltée » écrit  Denis Sieffert dans « Politis ». Une exaltation qui l’amena en 2007 à soutenir N. Sarkozy à la présidentielle !
Comment cette idéologie a-t-elle pu entraver à ce point les tentatives de construire une autre figure de l’anticapitalisme et de l’émancipation humaine que celle qui s’est effondrée en 89, victime de l’étatisme autoritaire et de l’absence de liberté ? Comment a-t-elle pu déboucher sur l’idée qu’il n’y avait d’issue que dans la soumission à la théorie du « choc des civilisations » opposant le bien (toujours occidental, blanc et chrétien) au nouveau mal (oriental, basané et musulman), faisant ainsi le lit du néo-populisme ?
En fait, de Glucksmann à Finkielkraut en passant par BHL, les « nouveaux philosophes » appartiennent à l’histoire totalitaire qu’ils prétendent combattre. Ils adhèrent en effet à un ordre inégalitaire et guerrier, dominé par de nouvelles formes de totalitarisme : celle de la techno-finance contre les peuples et la démocratie, celle du productivisme et du consumérisme contre la planète, celle des replis identitaires contre l’émancipation des femmes et des hommes de ce temps.
Tétanisés, sans doute, par l’effondrement de ce à quoi nous avons cru, nous avons tardé à affronter l’adversité avec lucidité critique sur le passé et surtout  intelligence créatrice d’un avenir où il faut impérativement tout réinventer.
Tirons donc les enseignements du 20e siècle et engageons-nous dans le 21e avec l’émancipation humaine, la préservation de la planète et la promotion de la citoyenneté comme boussoles pour construire le monde de demain.
 
 
*Voir à ce sujet l’ouvrage remarquable de l’historien américain M. Christofferson : « Les intellectuels français contre la gauche» éd. Agone 2014.

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