La mort
d’André Glucksmann a provoqué des réactions pour le moins contrastées.
Dithyrambes à droite, hommage convenu et disproportionné dans les grands
médias, gêne à gauche à dire clairement ce que l’on pense.
Certes, il
est toujours difficile face à la mort, de ne pas s’incliner et je ne serai pas
de ceux qui se livrent à je ne sais quel règlement de compte. André Glucksmann
« ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité ». Il a été un
acteur important d’une aventure intellectuelle profondément réactionnaire dans
les années 70/80, celle des « nouveaux philosophes ». Les médias,
qu’ils savaient parfaitement utiliser, leur ont servi de caisse de résonnance. S’appuyant
sur la dénonciation légitime du « soviétisme », sa crise puis son
effondrement, ils dénoncèrent la figure d’un « totalitarisme de gauche »,
jetant le bébé communiste avec l’eau stalinienne du bain. *
Militant
maoïste en mai 68, Glucksmann considère, dès les années 70, que toute pensée
révolutionnaire devient suspecte de filiation totalitaire. S’inscrivant
délibérément dans l’air du temps, le combat de l’Occident contre
« l’Empire du mal », ces « nouveaux philosophes », dont la
pensée était d’une indigence théorique rare, ont réussi à marginaliser la
pensée marxiste et au-delà, toute pensée critique du système. Ils ont ouvert
ainsi la voie au ralliement d’une part importante de la gauche française aux
thèses libérales, voire néoconservatrice puisqu’on verra Glucksmann traiter la
France de « Soviétique » parce qu’elle refusa de participer à la
croisade des Bush en Irak. « Il était stalinien et devint atlantiste avec
la même fougue et la même rhétorique exaltée » écrit Denis Sieffert dans « Politis ».
Une exaltation qui l’amena en 2007 à soutenir N. Sarkozy à la présidentielle !
Comment
cette idéologie a-t-elle pu entraver à ce point les tentatives de construire
une autre figure de l’anticapitalisme et de l’émancipation humaine que celle
qui s’est effondrée en 89, victime de l’étatisme autoritaire et de l’absence de
liberté ? Comment a-t-elle pu déboucher sur l’idée qu’il n’y avait d’issue
que dans la soumission à la théorie du « choc des civilisations »
opposant le bien (toujours occidental, blanc et chrétien) au nouveau mal (oriental,
basané et musulman), faisant ainsi le lit du néo-populisme ?
En fait, de
Glucksmann à Finkielkraut en passant par BHL, les « nouveaux
philosophes » appartiennent à l’histoire totalitaire qu’ils prétendent
combattre. Ils adhèrent en effet à un ordre inégalitaire et guerrier, dominé
par de nouvelles formes de totalitarisme : celle de la techno-finance
contre les peuples et la démocratie, celle du productivisme et du consumérisme
contre la planète, celle des replis identitaires contre l’émancipation des
femmes et des hommes de ce temps.
Tétanisés,
sans doute, par l’effondrement de ce à quoi nous avons cru, nous avons tardé à
affronter l’adversité avec lucidité critique sur le passé et surtout intelligence créatrice d’un avenir où il faut
impérativement tout réinventer.
Tirons donc
les enseignements du 20e siècle et engageons-nous dans le 21e
avec l’émancipation humaine, la préservation de la planète et la promotion de
la citoyenneté comme boussoles pour construire le monde de demain.
*Voir à ce sujet l’ouvrage remarquable de
l’historien américain M. Christofferson : « Les intellectuels
français contre la gauche» éd. Agone 2014.
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